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8 janvier 2018

La privatisation des opérations antiterroristes en Afghanistan, et sabotant potentiellement l'UCUR chinoise...

Un fiasco sécuritaire majeur émerge contre l’Initiative UCUR de Beijing.

Par F. William Engdahl  
4 janvier 2018

[RAppel : « Une CIA privée fiable pour doubler la CIA vérolée? » (DeDefensa via CVR, 9 décembre 2017)] 

Une CIA privée  pour doubler la CIA vérolée?

Un fiasco de sécurité d’importance émerge, impliquant une compagnie d’Etat chinoise majeure et une compagnie de sécurité privée basée à Hong Kong. Il pourrait potentiellement ouvrir le projet eurasiatique massif de la Chine, son initiative Une Ceinture Une Route (UCUR – aussi appelée Initiative Ceinture et Route, ICR), à un sabotage sous couverture dirigé depuis les quartiers généraux de la CIA de Langley (McLean, Virginie). Il serait mis en place par un « cheval de Troie » que les chinois ont recruté afin d’entraîner leurs propres personnels, à protéger les infrastructures eurasiatiques composées de lignes de chemin de fer à haute vitesse et de ports en eaux profondes, face aux sabotages et aux attaques terroristes. La compagnie privée en question, basée à Hong Kong, est possédée par Erik Prince, le fondateur notoire de la Société Militaire Privée Blackwater.
Dans le même temps que le même Erik Prince serait ainsi payé par les chinois pour protéger leur UCUR, il est rapporté qu’il intrigue avec Trump et le Directeur de la CIA Mike Pompeo afin de former une « CIA privée, complètement en marge des institutions officielles américaines » qui mettrait en place des opérations noires dans bien des pays eurasiatiques en lien avec l’UCUR. Ce qui se dévoile ici, c’est un fiasco de sécurité majeure pour l’UCUR chinoise, s’il devait ne pas être corrigé.


Une CIA privée en marge des institutions officielles américaines.

Début décembre, un nouvel élément du rôle équivoque d’Erik Prince en tant que consultant en sécurité « privée », a été mis en lumière. Les rapports des médias ont en effet indiqué que Prince proposait discrètement au Président Trump personnellement, ainsi qu’au patron de la CIA de Trump Mike Pompeo, de créer une CIA privée/officieuse top secret au niveau mondial, « hors de toute comptabilité officielle/existence légale [off-the-books] », qui mettrait en œuvre tous les sales coups, assassinats et autres opérations noires indépendamment de la CIA officielle. D’après ces rapports, Prince proposerait le projet ensemble avec son associé de longue date, le vétéran de la CIA John R. Maguire, qui a également travaillé en tant que consultant auprès du Groupe Frontier Services de Prince basé à Hong Kong, duquel nous allons dire deux mots plus bas.
Ils créeraient ainsi d’après ces rapports, une CIA parallèle « non officielle », aux côtés d’un opérationnel de la CIA avéré depuis l’affaire Iran-Contras, le colonel Oliver North. Il obtiendrait par ailleurs des fonds du gouvernement américain afin de créer une force mercenaire privée à la fois au Pakistan et en Afghanistan, envoyant des agents de déstabilisation « privés » en Iran et même en Corée-du-Nord, ceci parmi d’autres opérations proposées.
Si nous combinons ce plan de Prince avec ses propositions récentes pour une « sortie stratégique » afghane privatisée, alors nous commençons à avoir une image qui est de mauvais augure et garantirait le chaos et l’anarchie dans un pays clé de la future initiative chinoise une Ceinture Une Route, aussi considérée comme la Nouvelle Route Economique de la Soie [New Economic Silk Road].


Le plan afghan de guerre privé d’Erik Prince.

Le même Erik Prince a récemment présenté un plan pour une force mercenaire privée créée par Prince lui-même, pour aller en Afghanistan, un pays pour lequel sa firme Blackwater fut recrutée après 2012 par la CIA dans le but d’y opérer. Le 7 décembre 2017, Erik Prince dévoila ce qu’il appela son plan pour une « sortie stratégique » afghane, après 17 ans et plus de 714 milliards de dollars d’argent du contribuable américain dépensés. Erik Prince proposa en effet que sa compagnie privée soit mandatée pour mettre la main sur les ressources minières inestimables de la province du Helmland d’Afghanistan, et que les ressources de cette exploitation soient utilisées pour financer un rôle militaire américain continu dans ce pays. Erik Prince proposa également le pillage des énormes réserves de lithium, uranium, phosphore et autres éléments rares, estimés à une valeur de mille milliards de dollars pour la seule province du Helmland.
D’après un rapport paru dans le US Military Times, Prince a soumis une proposition/offre d’affaires, offrant une « force aérienne composite clé en main [turn-key composite air wing] » afin d’aider l’aviation afghane à combattre contre les talibans et autres groupes militants. Il est rapporté que la compagnie de sécurité privée de Prince devrait fournir et faire opérer une flotte d’avions à ailes fixes, d’hélicoptères d’attaque et de drones capables de fournir un soutien/appui feu aérien rapproché à des forces manœuvrant au sol. Le fait notable, c’est que la province du Helmland abrite également la plus grande zone de culture de l’opium, une culture dont les volumes d’exportations ont explosé après l’invasion américaine de 2001. Ahmed Wali Karzaï, le seigneur de guerre frère de l’ancien Président afghan sélectionné par les États-Unis, est rapporté comme ayant reçu des paiements réguliers de la CIA tandis qu’il supervisait le contrôle de cet opium et de l’héroïne du Helmland.
Erik Prince utiliserait donc sa compagnie de sécurité privée de Hong Kong, Frontier Services Group, l’entreprise militaire privée dédiée à la Chine que contrôle Prince, d’après ces rapports, afin de « fournir un soutien logistique aux entreprises extractives avec une sécurisation du transport et un soutien de campagne ». À partir de là, les choses deviennent vraiment sérieuses, devenant un potentiel fiasco sécuritaire pour le développement du maillage de l’UCUR chinoise.


Un Erik Prince bien introduit dans les sphères officielles américaines.

Erik Prince est devenu notoire en tant que patron de l’une des plus sauvages armées américaine privées de mercenaires, durant l’occupation américaine de l’Irak dans les années 2000. Black Water devint mondialement connue après l’affaire du massacre du square Nisour en Irak, en septembre 2007, lorsque des mercenaires de Blackwater travaillant pour le gouvernement américain ouvrirent le feu sur un square bondé de Bagdad, tuant 17 civils irakiens incluant des enfants et en blessant 20 autres. Trois gardes de Blackwater furent condamnées par une cour américaine pour 14 homicides involontaires, et un autre pour meurtre. Après ceci, Erik Prince vendit la compagnie en 2010 qui fut finalement renommée Academi. Academi fut aussi rapportée comme étant impliquée dans le coup d’État soutenu par la CIA de 2013-2014 en Ukraine, qui renversa le gouvernement élu de Yanoukovitch, impliquant l’entraînement de forces paramilitaires privées liées à des groupes néonazis ukrainiens.
En 2010 et malgré ces scandales, la compagnie de Prince recevait une autre enveloppe de 100 millions de dollars afin de faire du travail pour la CIA. En 2009, il fut révélé qu’Erik Prince faisait partie de la Force ad hoc / combinée [task force] de la CIA, commissionnée/mandatée pour tuer des terroristes. Il fut même engagé pour fournir la sécurité des quartiers généraux de CIA à Langley, McLean, Virginie.
Il est intéressant de remarquer également, les liens d’Erik Prince avec l’Administration de Donald Trump. Sa sœur, la milliardaire Betsy DeVos, femme de l’héritier de la fortune AmWay, est la Secrétaire à l’Education de l’Administration Trump. D’après un ancien officiel sénior américain, Prince a conseillé l’équipe de transition de Trump avant le 20 janvier 2017, sur des sujets en lien avec le renseignement et la défense, « incluant la pesée de candidats pour les Départements de la Défense et des Affaires étrangères ». Erik Prince est proche du Vice-président Mike Pence, qui fut engagé dans un rare vote décisif au Sénat qui a autorisé la sœur de Prince, Betsy DeVos, à devenir la Secrétaire à l’Education. Prince est également proche du milliardaire patron de fond spéculatif Robert Mercer, un financier clé de l’élection de Trump.
Prince est rapporté comme utilisant toutes ces connexions pour promouvoir sa CIA privée qui ne rendrait compte qu’à Pompeo et Trump, en dehors de la traditionnelle chaîne de commandement en matière de renseignement.


Erik Prince, et la sécurité de la Route de la Soie chinoise.

Un organe de presse gouvernemental chinois a révélé plus tôt, début 2017, que la compagnie d’Erik Prince Frontier Services Group (FSG), bâtirait deux bases opérationnelles dans le nord-ouest de la Chine, dans la région autonome ouïgoure de la province du Xinjiang, et dans la Province du Yunnan au sud-ouest de la Chine. Les provinces du Yunnan et du Xinjiang sont au cœur du pivot géographique de la vaste entreprise d’infrastructure que développe la Chine : son projet UCUR (aussi appelé « Un Pont Une Route [One Bridge, One Road] »), composé de lignes de train à haute vitesse, de port et d’oléoducs/gazoducs énergétiques. Erik Prince est le président et le principal cadre exécutif de Frontier Services Group.
Dans une entrevue donnée au Financial Times de Londres, Prince décrivit son travail avec la Chine, déclarant : « nous ne servons pas les objectifs de politique étrangère chinois, nous aidons à augmenter le commerce. FSG est une compagnie logistique, nous ne sommes pas une compagnie de sécurité. Aucun de nos gens n’ont été ou ne seront armés. Mais la gestion de la sécurité [security management] fait bien évidemment partie du processus logistique ». Le plus grand investisseur dans FSG est CITIC, un fonds d’investissement possédé et contrôlé par la République Populaire de Chine, qui contrôle 20 % de Frontier Services Group.
Dans une entrevue donnée au journal de l’État chinois Global Times, Prince a annoncé que sa compagnie FSG a été recrutée afin de bâtir deux « bases opérationnelles », comme sa compagnie les appelle. Prince a déclaré dans cette entrevue au Global Times : « le corridor du Nord-Ouest inclut les pays du Kazakhstan, Ouzbékistan, Pakistan, Afghanistan, tandis que le corridor du sud-ouest inclut le Myanmar, la Thaïlande, le Laos et le Cambodge ». Il a ajouté à ceci que « les nouvelles facilités planifiées dans la province chinoise du Yunnan, vont permettre à FSG de mieux servir les compagnies/entreprises du corridor du sud-ouest. Subséquemment, FSG va ouvrir une structure d’entraînement au Xinjiang, afin de servir les affaires du corridor du Nord-Ouest ».
La base de FSG dans la région autonome ouïgoure de la province du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, sera au cœur de la région sensible qui est une cible de longue date du terrorisme ouïgoure à l’instigation de la CIA. Le Xinjiang est en effet la maison du Mouvement Islamique du Turkestan de l’Est (MITE [East Turkistan Islamic Movement - ETIM]) biberonné par la CIA, émanation d’Al Qaïda, actif au sein des musulmans ouïgours du Xinjiang. La province du Xinjiang elle-même, se trouve être le carrefour des routes de la plupart des oléoducs et gazoducs internationaux majeurs, convergeant vers la Chine depuis le Kazakhstan, la Russie ou ailleurs. La seconde « base opérationnelle » sera située dans la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine, où Kunming se trouve être la plate-forme stratégique reliant les oléoducs, gazoducs et ports en eaux profondes de l’océan Indien, via le Myanmar, en même temps qu’il est le carrefour des vastes infrastructures ferroviaires à haute vitesse de l’UCUR.   


Un fiasco potentiel pour Erik Prince et pour la Chine

Si nous prenons du recul un instant pour rassembler les pièces sur la table, nous voyons les grandes lignes d’un fiasco sécuritaire si ce n’est pire, pour l’initiative ambitieuse changeant les règles du jeu en Eurasie : Une Ceinture Une Route.
Le fondateur de Blackwater et mercenaire notoirement financé par la CIA Erik Prince, est parvenu à convaincre le gouvernement chinois de financer et engager sa compagnie hongkongaise Frontier Services Group, afin de mener des opérations de sécurité et d’entraînement le long des deux artères et corridors majeurs de la nouvelle Route de la Soie chinoise : la Région Autonome ouïgoure de la Province du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, et la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine, où Kunming est connectée au port en eau profonde de l’Ile de Maday à Kyaukphyu, dans l’État de Rakhine au Myanmar : une région au cœur des troubles politiques récents au minutage suspect, impliquant les forces de sécurité du Myanmar contre les musulmans Rohingyas.
Alors, le même Erik Prince exerce une influence discrète sur le Président Trump et le Directeur de la CIA Pompeo, afin de recruter « en dehors de toute existence légale », son réseau privé de mercenaires, anciens de la CIA ou des Forces Spéciales américaines, afin de mener des opérations sous couverture en Iran, en Corée du Nord, en Afghanistan et dans d’autres lieux stratégiques du développement de l’UCUR. De plus, Prince influence les gouvernements américain et afghan afin de laisser son armée aérienne mercenaire privée mener des bombardements « antiterroristes » ainsi que d’autres opérations militaires en Afghanistan : des opérations supposées devoir être payées sur les vastes terres rares et autres minerais encore inexploités de la Province afghane du Helmland, laquelle abrite par ailleurs le plus grand centre de culture de l’opium. Les services du Frontier Services Group d’Erik Prince basé à Hong Kong, seraient donc utilisés soi-disant pour faire la police autour de ces opérations d’exploitations minérales.
Tout ceci suggère que la Chine et son CITIC sont discrètement mises face à un colossal fiasco sécuritaire le long des nœuds majeurs de son projet, l’initiative Une Ceinture Une Route…



William F. Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, titulaire d’un diplôme en Sciences Politiques de l’Université de Princeton. Il est l’auteur de plusieurs livres à succès sur le pétrole, la géopolitique et les OGM.

Traduction par Jean-Maxime Corneille, pour Réseau International, article original paru dans New Eastern Outlook.