Un fiasco sécuritaire majeur émerge contre l’Initiative UCUR de Beijing.
Par F. William Engdahl
4 janvier 2018
Une CIA privée pour doubler la CIA vérolée?
Un fiasco de sécurité d’importance émerge, impliquant une compagnie
d’Etat chinoise majeure et une compagnie de sécurité privée basée à Hong Kong.
Il pourrait potentiellement ouvrir le projet eurasiatique massif de la Chine,
son initiative Une Ceinture Une Route
(UCUR – aussi appelée Initiative Ceinture
et Route, ICR), à un sabotage sous couverture dirigé depuis les quartiers
généraux de la CIA de Langley (McLean, Virginie). Il serait mis en place par un
« cheval de Troie » que les chinois ont recruté afin d’entraîner leurs
propres personnels, à protéger les infrastructures eurasiatiques composées de
lignes de chemin de fer à haute vitesse et de ports en eaux profondes, face aux
sabotages et aux attaques terroristes. La compagnie privée en question, basée à
Hong Kong, est possédée par Erik Prince, le fondateur notoire de la Société Militaire
Privée Blackwater.
Dans le même temps que le même Erik Prince serait ainsi payé par les
chinois pour protéger leur UCUR, il
est rapporté qu’il intrigue avec Trump et le Directeur de la CIA Mike Pompeo
afin de former une « CIA privée,
complètement en marge des institutions officielles américaines » qui
mettrait en place des opérations noires dans bien des pays eurasiatiques en
lien avec l’UCUR. Ce qui se dévoile
ici, c’est un fiasco de sécurité majeure pour l’UCUR chinoise, s’il devait ne
pas être corrigé.
Une CIA privée en marge des institutions officielles américaines.
Début décembre, un nouvel
élément du rôle équivoque d’Erik Prince en tant que consultant en sécurité
« privée », a été mis en lumière. Les rapports des médias ont en
effet indiqué que Prince proposait discrètement au Président Trump
personnellement, ainsi qu’au patron de la CIA de Trump Mike Pompeo, de créer
une CIA privée/officieuse top secret au niveau mondial, « hors de toute comptabilité
officielle/existence légale [off-the-books] », qui mettrait en œuvre
tous les sales coups, assassinats et autres opérations noires indépendamment de
la CIA officielle. D’après ces rapports, Prince proposerait le projet ensemble
avec son associé de longue date, le vétéran de la CIA John R. Maguire, qui a
également travaillé en tant que consultant auprès du Groupe Frontier Services de Prince basé à Hong
Kong, duquel nous allons dire deux mots plus bas.
Ils créeraient ainsi d’après ces
rapports, une CIA parallèle « non
officielle », aux côtés d’un opérationnel de la CIA avéré depuis
l’affaire Iran-Contras, le colonel Oliver North. Il obtiendrait par ailleurs
des fonds du gouvernement américain afin de créer une force mercenaire privée à
la fois au Pakistan et en Afghanistan, envoyant des agents de déstabilisation
« privés » en Iran et même en Corée-du-Nord, ceci parmi d’autres
opérations proposées.
Si nous combinons ce plan de Prince avec ses propositions récentes pour
une « sortie stratégique » afghane privatisée, alors nous commençons
à avoir une image qui est de mauvais augure et garantirait le chaos et
l’anarchie dans un pays clé de la future initiative chinoise une Ceinture Une Route, aussi considérée
comme la Nouvelle Route Economique de la Soie [New Economic Silk Road].
Le plan afghan de guerre privé d’Erik Prince.
Le même Erik Prince a récemment
présenté un plan pour une force mercenaire privée créée par Prince lui-même,
pour aller en Afghanistan, un pays pour lequel sa firme
Blackwater fut recrutée après 2012 par la CIA dans le but d’y
opérer. Le 7 décembre 2017, Erik Prince dévoila ce qu’il appela son plan pour
une «
sortie stratégique »
afghane, après 17 ans et plus de 714 milliards de dollars d’argent du
contribuable américain dépensés. Erik Prince proposa en effet que sa compagnie
privée soit mandatée pour mettre la main sur les ressources minières
inestimables de la province du Helmland d’Afghanistan, et que les ressources de
cette exploitation soient utilisées pour financer un rôle militaire américain
continu dans ce pays. Erik Prince proposa également le pillage des énormes
réserves de lithium, uranium, phosphore et autres éléments rares, estimés à une
valeur de mille milliards de dollars
pour
la seule province du Helmland.
D’après un rapport paru dans le
US Military Times, Prince a soumis une
proposition/offre d’affaires, offrant une «
force aérienne composite clé en main [turn-key composite air wing] »
afin d’aider l’aviation afghane à combattre contre les talibans et autres
groupes militants. Il est rapporté que la compagnie de sécurité privée de
Prince devrait fournir et faire opérer une flotte
d’avions à ailes fixes,
d’hélicoptères d’attaque et de drones capables de fournir un soutien/appui feu
aérien rapproché à des forces manœuvrant au sol. Le fait notable, c’est que la
province du Helmland abrite également la plus grande zone de culture de
l’opium, une culture dont les volumes d’exportations ont explosé après
l’invasion américaine de 2001. Ahmed Wali Karzaï, le seigneur de guerre frère
de l’ancien Président afghan sélectionné par les États-Unis, est rapporté comme
ayant reçu des paiements réguliers de la CIA tandis qu’il supervisait le
contrôle de cet opium et de l’héroïne du Helmland.
Erik Prince utiliserait donc sa
compagnie de sécurité privée de Hong Kong,
Frontier
Services Group, l’entreprise militaire privée dédiée à la Chine que
contrôle Prince, d’après ces rapports, afin de «
fournir un soutien logistique aux entreprises extractives avec une
sécurisation du transport et un soutien de campagne ». À
partir de là, les choses deviennent vraiment sérieuses, devenant un potentiel
fiasco sécuritaire pour le développement du maillage de l’
UCUR chinoise.
Un Erik Prince bien introduit dans les sphères officielles américaines.
Erik Prince est devenu notoire
en tant que patron de l’une des plus sauvages armées américaine privées de
mercenaires, durant l’occupation américaine de l’Irak dans les années 2000. Black
Water devint mondialement connue après l’affaire du massacre du square Nisour en
Irak, en septembre 2007, lorsque des mercenaires de
Blackwater travaillant pour le gouvernement américain ouvrirent le
feu sur un square bondé de Bagdad, tuant 17 civils irakiens incluant des
enfants et en blessant 20 autres. Trois gardes de Blackwater furent condamnées
par une cour américaine pour 14 homicides involontaires, et un autre pour
meurtre. Après ceci, Erik Prince vendit la compagnie en 2010 qui fut finalement
renommée
Academi.
Academi fut aussi rapportée comme étant
impliquée dans le coup d’État soutenu par la CIA de 2013-2014 en Ukraine, qui
renversa le gouvernement élu de Yanoukovitch, impliquant l’entraînement de
forces paramilitaires privées
liées
à des groupes néonazis ukrainiens.
En 2010 et malgré ces scandales,
la compagnie de Prince recevait une autre enveloppe de 100 millions de dollars
afin de faire du travail pour la CIA. En 2009, il fut révélé qu’Erik Prince
faisait partie de la Force ad hoc / combinée
[task force] de la CIA,
commissionnée/mandatée pour tuer des terroristes. Il fut même engagé pour fournir
la sécurité des quartiers généraux de CIA à Langley, McLean, Virginie.
Il est intéressant de remarquer
également, les liens d’Erik Prince avec l’Administration de Donald Trump. Sa
sœur, la milliardaire Betsy DeVos, femme de l’héritier de la fortune
AmWay, est la Secrétaire à l’Education
de l’Administration Trump. D’après un ancien officiel sénior américain, Prince
a conseillé l’équipe de transition de Trump avant le 20 janvier 2017, sur des
sujets en lien avec le renseignement et la défense, «
incluant la pesée de candidats pour les Départements de la Défense et
des Affaires étrangères ». Erik Prince est proche du Vice-président
Mike Pence, qui fut engagé dans un rare vote décisif au Sénat qui a autorisé la
sœur de Prince, Betsy DeVos, à devenir la Secrétaire à l’Education. Prince est
également proche du milliardaire patron de fond spéculatif Robert Mercer, un
financier clé de l’élection de
Trump.
Prince est rapporté comme
utilisant toutes ces connexions pour promouvoir sa CIA privée qui ne rendrait
compte qu’à Pompeo et Trump, en dehors de la traditionnelle chaîne de
commandement en matière de renseignement.
Erik Prince, et la sécurité de la Route de la Soie chinoise.
Un organe de presse
gouvernemental chinois a révélé plus tôt, début 2017, que la compagnie d’Erik
Prince Frontier Services Group (FSG),
bâtirait deux bases opérationnelles dans le nord-ouest de la Chine, dans la
région autonome ouïgoure de la province du Xinjiang, et dans la Province du Yunnan
au sud-ouest de la Chine. Les provinces du Yunnan et du Xinjiang sont au cœur
du pivot géographique de la vaste entreprise d’infrastructure que développe la
Chine : son projet UCUR (aussi appelé « Un Pont Une Route [One Bridge, One Road] »), composé de lignes
de train à haute vitesse, de port et d’oléoducs/gazoducs énergétiques. Erik
Prince est le président et le principal cadre exécutif de Frontier Services Group.
Dans une entrevue donnée au
Financial Times de Londres, Prince décrivit
son travail avec la Chine, déclarant : «
nous ne servons pas les objectifs de politique étrangère chinois, nous
aidons à augmenter le commerce. FSG est
une compagnie logistique, nous ne sommes pas une compagnie de sécurité. Aucun
de nos gens n’ont été ou ne seront armés. Mais la gestion de la sécurité [security
management] fait bien évidemment partie du processus logistique ». Le
plus grand investisseur dans FSG est CITIC, un fonds d’investissement possédé
et contrôlé par la République Populaire de Chine, qui contrôle 20 % de
Frontier Services Group.
Dans une entrevue donnée au
journal de l’État chinois Global Times,
Prince a annoncé que sa compagnie FSG a été recrutée afin de bâtir deux « bases opérationnelles », comme sa
compagnie les appelle. Prince a déclaré dans cette entrevue au Global Times : « le corridor du Nord-Ouest inclut les pays du
Kazakhstan, Ouzbékistan, Pakistan, Afghanistan, tandis que le corridor du
sud-ouest inclut le Myanmar, la Thaïlande, le Laos et le Cambodge ».
Il a ajouté à ceci que « les
nouvelles facilités planifiées dans la province chinoise du Yunnan, vont permettre
à FSG de mieux servir les compagnies/entreprises du corridor du sud-ouest.
Subséquemment, FSG va ouvrir une structure d’entraînement au Xinjiang, afin de
servir les affaires du corridor du Nord-Ouest ».
La base de FSG dans la région
autonome ouïgoure de la province du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, sera
au cœur de la région sensible qui est une cible de longue date du terrorisme
ouïgoure à l’instigation de la CIA. Le Xinjiang est en effet la maison du
Mouvement Islamique du Turkestan de l’Est
(
MITE [East Turkistan Islamic Movement - ETIM])
biberonné par la CIA, émanation d’Al Qaïda, actif au sein des musulmans
ouïgours du Xinjiang. La province du Xinjiang elle-même, se trouve être le
carrefour des routes de la plupart des oléoducs et gazoducs internationaux
majeurs, convergeant vers la Chine depuis le Kazakhstan, la Russie ou ailleurs.
La seconde «
base opérationnelle »
sera située dans la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine, où Kunming se
trouve être la plate-forme stratégique reliant les oléoducs, gazoducs et ports
en eaux profondes de l’océan Indien, via le Myanmar, en même temps qu’il est le
carrefour des vastes infrastructures
ferroviaires
à haute vitesse de l’UCUR.
Un fiasco potentiel pour Erik Prince et pour la Chine
Si nous prenons du recul un
instant pour rassembler les pièces sur la table, nous voyons les grandes lignes
d’un fiasco sécuritaire si ce n’est pire, pour l’initiative ambitieuse
changeant les règles du jeu en Eurasie : Une Ceinture Une Route.
Le fondateur de Blackwater et mercenaire notoirement
financé par la CIA Erik Prince, est parvenu à convaincre le gouvernement
chinois de financer et engager sa compagnie hongkongaise Frontier Services Group, afin de mener des opérations de sécurité
et d’entraînement le long des deux artères et corridors majeurs de la nouvelle Route de la Soie chinoise : la Région
Autonome ouïgoure de la Province du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, et la
province du Yunnan au sud-ouest de la Chine, où Kunming est connectée au port
en eau profonde de l’Ile de Maday à Kyaukphyu, dans l’État de Rakhine au
Myanmar : une région au cœur des troubles politiques récents au minutage
suspect, impliquant les forces de sécurité du Myanmar contre les musulmans
Rohingyas.
Alors, le même Erik Prince
exerce une influence discrète sur le Président Trump et le Directeur de la CIA
Pompeo, afin de recruter « en dehors
de toute existence légale », son réseau privé de mercenaires, anciens
de la CIA ou des Forces Spéciales américaines, afin de mener des opérations
sous couverture en Iran, en Corée du Nord, en Afghanistan et dans d’autres
lieux stratégiques du développement de l’UCUR. De plus, Prince influence les
gouvernements américain et afghan afin de laisser son armée aérienne mercenaire
privée mener des bombardements « antiterroristes » ainsi que d’autres
opérations militaires en Afghanistan : des opérations supposées devoir
être payées sur les vastes terres rares et autres minerais encore inexploités
de la Province afghane du Helmland, laquelle abrite par ailleurs le plus grand
centre de culture de l’opium. Les services du Frontier Services Group d’Erik Prince basé à Hong Kong, seraient
donc utilisés soi-disant pour faire la police autour de ces opérations
d’exploitations minérales.
Tout ceci suggère que la Chine
et son CITIC sont discrètement mises face à un colossal fiasco sécuritaire le
long des nœuds majeurs de son projet, l’initiative Une Ceinture Une Route…
William
F. Engdahl est consultant en risques stratégiques et
conférencier, titulaire d’un diplôme en Sciences Politiques de l’Université de
Princeton. Il est l’auteur de plusieurs livres à succès sur le pétrole, la
géopolitique et les OGM.
Traduction par Jean-Maxime
Corneille, pour Réseau International,
article
original paru dans
New Eastern
Outlook.