«... Et puis, dans l’euphorie générale de la farce, on
s’est vite aperçu que c’est la gauche, moins suspecte de conchier le peuple,
qui pouvait le mieux rouler le prolo dans la farine libérale. Dont acte. Et
pour calmer la grogne due à la trahison, il y avait toujours l’alternance. Tout
allait donc bien dans le meilleur des mondes.»
Aux
Etats-Unis, le succès dévastateur du trublion Trump commence à faire
sérieusement paniquer l’establishment. A Paris, la même panique saisit la caste
dirigeante qui se voit désormais conspuée voire insultée dès qu’elle ose
quitter ses palais. De part et d’autre de l’Atlantique, la machine à enfumer
est en train de serrer. Les «sans-dents» se rebiffent et refusent même de
marcher à la culpabilité. Dans leurs courriers des lecteurs comme dans leurs
talk-shows tapissés de sourires hargneux, les gardiens du prêt-à-penser contemporain
sont eux aussi renvoyés dans les cordes et découvrent, effarés, qu’en toute
logique plus personne ne les distinguent plus de leurs maîtres. Le rejet de la
caste dirigeante et de son clergé médiatique est partout massif, global, sans
nuances. Alors Trump? Elvis? Le Pen ou Astérix for Président? Oui,
«n’importe qui sauf vous», ose la plèbe. Après on verra bien.
Déconstruction
Petit
retour sur l’imposture.
Durant
des décennies, une sorte de «marxisme culturel» saupoudré de darwinisme
économique a permis l’émergence d’une société libérale aussi inégalitaire
qu’indécente.
La
mécanique était bien huilée. Dans le Parti unique à deux têtes, le boulot de la
gauche était de déconstruire le tissu social sous couvert de progrès sociétaux,
de fabriquer un citoyen nomade atomisé, dressé à tout tolérer, tout accepter,
tout aimer, à ne rien juger, rien condamner, réduit à la seule satisfaction
compulsive de ses égoïsmes et de ses désirs.
Et
ça a presque marché. Il aura suffi de profiter des vaches grasses pour le
gaver, l’étourdir à coup de divertissements, de violence et de licence, de
porno et de guerres aussi, de pain et de jeux donc, pour lui faire «aimer sa
servitude». Et pour satisfaire ses agaçantes aspirations verticales, on lui
aura taillé une mac-religion sur mesures, flatteuse et pas chère, où il pouvait
s’acheter, entre deux jouets technologiques nécessairement abrutissants,
quelque supplément d’âme au grand bazar de l’humanisme libéral globalisé, lui
permettant ici défendre le fox à poil dur, là des minorités de plus en plus
improbables, là encore de défiler contre le Sida, le cancer ou l’herpès labial
selon la mode, les trends, l’ennui du moment.
La
droite, elle, était sensée organiser l’exploitation efficace de cet homme
nouveau enfin lobotomisé, enfin libéré donc, de tout et surtout de lui-même,
cet homme mobile, servile, docile, asexué, plastique, malléable, corvéable et
bien sûr jetable.
Et
puis dans l’euphorie générale de la farce, on s’est vite aperçu que c’est la
gauche, moins suspecte de conchier le peuple, qui pouvait le mieux rouler le
prolo dans la farine libérale. Dont acte. Et pour calmer la grogne due à la
trahison, il y avait toujours l’alternance. Tout allait donc bien dans « le
meilleur des mondes».
De Kim Jong-un au Chikungunya
Sauf
qu’aux vaches grasses ont succédé les vaches maigres, puis les vaches
rachitiques. D’abord sous la pression d’un capitalisme en mode turbo, pris de
panique qu’il était de constater que la seule chose vraiment indépassable de
son modèle était l’impasse et le chaos. L’autre mâchoire de la machine à
appauvrir étant la voracité sans limites d’une hyper-classe désireuse de sauver
ses meubles en teck, de se goinfrer de bonus le plus possible avant le grand
effondrement.
L’internet
aussi sera venu compliquer la donne, permettant à la société civile de
s’émanciper, d’enfin pouvoir s’informer sans devoir ingurgiter la bouillie
formatée des médias-menteurs du Système.
Alors
bien sûr, dès les premiers hoquets de la machine, face aux premières
mobilisations en réseau des indignés, le parti unique a rapidement tombé le
masque et révélé son penchant naturel au totalitarisme, à coup de Patriot acts pondus à la chaîne de
Washington à Paris, histoire de garder la main.
La
gouvernance par la peur était en marche.
Et
là, tout aura été bon: de la lutte contre un terrorisme manufacturé au besoin,
jusqu’aux menaces tour à tour iranienne ou russe ou chinoise, en passant par le
Chikungunya, Kim Jong-un ou le Zika qu’importe: en matière d’ingénierie
sociale, c’est d’instiller le bon dosage de peur dans le tissu social qui
compte, d’où qu’elle vienne. L’objectif est de créer la tension qui permet de
raccourcir la laisse, de resserrer le garrot pour garder les manettes,
permettre au Système de perdurer dans son être et, accessoirement, à l’hyper-classe
de prolonger l’orgasme et d’en ingurgiter encore et encore, jusqu’à la nausée,
en attendant la mère de toutes les bulles.
Emancipation.
Dans
cette guerre implacable de domination des peuples, la dissidence a désormais
ses héros: les Assange et autres Snowden qui ont fait le choix du sacrifice,
qui ont renoncé à leur confort, à leurs privilèges, à leur famille, à leur vie (voir et revoir le film Citizenfour),
pour dénoncer l’avènement de ce système totalitaire.
Ce
faisant, ils nous ont d’ailleurs montré quel pouvait être en temps de paix, si
l’on ose dire, le vrai visage de l’héroïsme. Un désintéressement, un don de soi
pour l’Autre qui a quelque chose de
sidérant sous nos latitudes. Il faut en effet remonter aux champs de ces
batailles d’antan pour retrouver ici pareille bravoure, à une époque où
principes et valeurs n’avaient pas encore été réduits à l’abstraction vaseuse
de cet humanisme libéral globalisé donc, et pouvaient dès lors dignement
s’incarner jusqu’au trépas.
Dans
le silence complice de son clergé médiatique, le Système néolibéral s’est alors
déchaîné, resserrant son étreinte jusqu’au stalinisme en s’acharnant contre ces
lanceurs d’alertes pour bien faire savoir à tous que dans le so called monde libre, la liberté a ses
lignes rouges, infranchissables.
Pourtant
le sacrifice, lorsqu’il est noble et sert une cause juste, entre naturellement
en résonnance avec le cœur des autres. Et de voir ces héros persécutés par les
seules capitales du vertueux Occident, du vertueux monde-libre, aura absolument
tout dit, et à tous, de la boue sous le vernis.
L’indignation
a redoublé.
Mais
le sentiment d’impuissance aussi.
L’éveil
Car
la machine était lancée, lâchée. Elle s’est mise à vouloir «traiter ceux qui
n’était pas Charlie», à rééduquer la populace déviante, à lui apprendre à
penser à coups d’interdiction de manifs, de livres ou de spectacles; à coups de
surveillance globale, de lois d’exception ou d’urgence suspectes tant dans
leurs fondements que dans leurs applications.
Avec
pour valeur suprême de professer n’en avoir aucune sauf lorsqu'il s'agit de
justifier des massacres; avec pour seul crédo la croissance éternelle et pour
seule religion l’hystérie numérique et l’abolition de l’homme, notre fameux
monde-libre s’est ainsi mis à ressembler à l’univers des romans de Philipp K.
Dick, où triomphe une technologie malveillante et intrusive au service d’un
pouvoir inquisiteur et manipulateur qui conduit, dans l’ombre, des guerres
obscures et sanglantes «pour notre bien».
Avant
lui Orwell et Huxley avait également perçu la menace de cette dérive
totalitaire. Le premier dans la vision d’une société écrasée par la
surveillance et le mensonge permanent, le deuxième par celle d’une société
vaincue et «amoureuse de sa servitude».
Tous
trois seraient effarés de constater que notre indépassable société libérale est
une subtile combinaison de tous leurs cauchemars: surveillance totale;
boucheries à l’extérieur, mensonges permanents à l’intérieur; médias sous
contrôle; disparition de la vie privée; contrôle de la pensée et guerre de tous
contre tous.
Aujourd’hui
la société civile, dont l’hyper-classe dominante ne célèbre le réveil que
lorsque ses escroqueries fonctionnent, y voit pourtant plus clair. Tellement
clair que le pouvoir est désormais contraint au terrorisme intellectuel et à la
violence législative pour dominer, assurer ses arrières, pour continuer à se
goinfrer, à augmenter ses marges, ses dividendes, pour faire de la graisse,
encore et encore, pour ne rien céder, surtout pas à la lie, au peuple donc.
As
usual, reducio ad Hitlerum
Ce
rejet de la classe dirigeante et de son clergé médiatique, ce rejet du Système,
ne pouvait que favoriser l’émergence d’électrons libres, de francs-tireurs. Et
c’est là qu’aux Etats-Unis arrive un Trump avec ses énormes souliers. Ses
outrances sur les Musulmans ou les Mexicains en font immédiatement une cible
facile pour le clergé médiatique immédiatement mobilisé pour attaquer.
Et comme toujours, comme avec Khadafi, Poutine ou Bachar,
c’est la vieille technique du reducio ad Hitlerium.
Officiellement pourtant, contrairement à Hillary Clinton,
Trump s’engage à respecter l’accord avec les Iraniens; contrairement à elle, il
veut en finir avec les guerres extérieures de l’Empire; contrairement à elle
encore, il estime que les USA doivent retrouver une neutralité dans le conflit
israélo-palestinien; contrairement à Hillary Clinton toujours, il est prêt à
tendre la main à Poutine.
Mais qu’importe. Les outrances du bonhomme sont une aubaine
pour les tenants du Système alors même qu'en matière de racisme antimusulman,
Bush et Obama auront fait bien pire en exterminant directement et indirectement
plus d’un million et demi d’Irakiens, de Yéménites, le Libyens ou de Syriens.
Et force est de constater qu’ils sont restés tout à fait fréquentables pour nos
plumitifs-Système. Tout comme cette chère Hillary qui a largement soutenu
toutes leurs boucheries et dont l’élection à la Présidence US en garantirait la
poursuite.
C’est que le véritable crime de Trump est ailleurs. Il réside
tout entier dans sa posture anti-Système, anti-establishment. Une posture qui
trouve un écho phénoménal dans la population, d’où la panique complète de
l’establishment washingtonien et la hargne de ses chiens de garde médiatiques.
Ceux qui votent Trump ne votent en réalité ni pour lui ni
pour son programme, dont ils se moquent éperdument. Ils votent pour en finir
avec le statuquo, en finir avec le Parti unique de l’escroquerie libérale
éternelle et la perpétuation d’un Système qui conduit le monde, les sociétés et
l’espèce humaine à la ruine.
Ceux qui votent Trump votent comme on déclenche un
détonateur.
Après, on verra bien.