"Au sein du gouvernement
invisible" :
JOHN PILGER: "la
propagande la plus efficace lorsque notre consentement est créé par ingénierie,
par ceux qui ont une éducation fine (Oxford, Cambridge, Harvard,
Columbia), et ayant des carters à la BBC, au Guardian, New York Times,
Washington Post… ces organisations sont connues comme étant des médias de
gauche [liberal]. Il se présente comme des tribunes éclairées, progressiste, et
la morale dans l’esprit du temps [moral zeitgeist]. Ils sont
antiracistes, pro-féministe et pro-LGBT. Et ils aiment la guerre."
« Inside
the Invisible Government: War, Propaganda, Clinton and Trump » (John Pilger, Global Research, 27 octobre 2016)
Traduction par « le grand soir » (28 octobre 2016)
Le journaliste américain, Edward
Bernays, est souvent présenté comme l’inventeur de la propagande moderne.
Neveu de Sigmund Freud, le pionnier
de la psychanalyse, Bernays a inventé le terme « relations
publiques » comme un euphémisme pour désigner les manipulations et les
tromperies.
En 1929, il a persuadé les
féministes de promouvoir les cigarettes pour les femmes en fumant lors d’une
parade à New York – un comportement considéré à l’époque comme saugrenu. Une
féministe, Ruth Booth, a déclaré, « Femmes ! Allumez un nouveau
flambeau de la liberté ! Luttez contre un autre tabou sexiste ! »
L’influence de Bernays s’étendait
bien au-delà de la publicité. Son plus grand succès a été de convaincre le
public américain de se joindre à la grande tuerie de la Première Guerre
mondiale. Le secret, disait-il, était « de fabriquer le consentement »
des personnes afin de les « contrôler et orienter selon notre volonté
et à leur insu ».
Il décrivait cela comme « le
véritable pouvoir de décision dans notre société » et l’appelait le
« gouvernement invisible ».
Aujourd’hui, le gouvernement
invisible n’a jamais été aussi puissant et aussi peu compris. Dans toute ma
carrière de journaliste et de cinéaste, je n’ai jamais connu de propagande
aussi influente sur nos vies que celle qui sévit aujourd’hui, et qui soit aussi
peu contestée.
Imaginez deux villes. Les deux sont
en état de siège par les forces gouvernementales de ces pays. Les deux villes
sont occupées par des fanatiques, qui commettent des atrocités, comme la
décapitation.
Mais il y a une différence
essentielle. Dans une des deux villes, les journalistes occidentaux embarqués
avec les soldats gouvernementaux décrivent ces derniers comme des libérateurs
et annoncent avec enthousiasme leurs batailles et leurs frappes aériennes. Il y
a des photos en première page de ces soldats héroïques faisant le V de la
victoire. Il est très peu fait mention des victimes civiles.
Dans la deuxième ville – dans un
pays voisin – il se passe presque exactement la même chose. Les forces
gouvernementales assiègent une ville contrôlée par la même trempe de
fanatiques.
La différence est que ces fanatiques
sont soutenus, équipés et armés par « nous » - par les Etats-Unis et
la Grande-Bretagne. Ils ont même un centre de médias financé par la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Une autre différence est que les
soldats gouvernementaux qui assiègent cette ville sont les méchants, condamnés
pour avoir agressé et bombardé la ville - ce qui est exactement ce que les bons
soldats font dans la première ville.
Déroutant ? Pas vraiment. Tel
est le double standard de base qui est l’essence même de la propagande. Je
parle, bien sûr, du siège actuel de la ville de Mossoul par les forces
gouvernementales irakiennes, soutenues par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
et le siège d’Alep par les forces gouvernementales de la Syrie, soutenues par
la Russie. L’un est bon ; l’autre est mauvais.
Ce qui est rarement signalé est que
les deux villes ne seraient pas occupées par des fanatiques et ravagées par la
guerre si la Grande-Bretagne et les États-Unis n’avaient pas envahi l’Irak en
2003. Cette entreprise criminelle fut lancée sur la base de mensonges
étonnamment semblables à la propagande qui déforme maintenant notre
compréhension de la guerre en Syrie.
Sans ce battement de tambour de
propagande déguisé en informations, les monstrueux Daesh, Al-Qaida, al-Nusra et
tout le reste de ces bandes de djihadistes pourraient ne pas exister, et le
peuple syrien ne serait pas en train de se battre pour sa survie.
Certains se souviendront peut-être
de tous ces journalistes de la BBC qui en 2003 défilaient devant les caméras
pour nous expliquer que l’initiative de Blair était « justifiée »
pour ce qui allait devenir le crime du siècle. Les chaînes de télévision US
fournissaient les mêmes justifications pour George W. Bush. Fox News
invita Henry Kissinger pour disserter sur les mensonges de Colin Powell.
La même année, peu après l’invasion,
j’ai filmé une interview à Washington de Charles Lewis, le célèbre journaliste
d’investigation. Je lui ai demandé, « Qu’est-ce qui se serait passé si
les médias les plus libres du monde avaient sérieusement remis en question ce
qui s’est avéré être une propagande grossière ? »
Il a répondu que si les journalistes
avaient fait leur travail, « il y a de très fortes chances qui nous ne
serions pas entrés en guerre contre Irak. »
Ce fut une déclaration choquante, et
confirmée par d’autres journalistes célèbres à qui j’ai posé la même question -
Dan Rather de CBS, David Rose du Observer et des journalistes et
producteurs de la BBC, qui souhaitaient rester anonymes.
En d’autres mots, si les
journalistes avaient fait leur travail, s’ils avaient contesté et enquêté sur
la propagande au lieu de l’amplifier, des centaines de milliers d’hommes, de
femmes et d’enfants seraient encore en vie aujourd’hui, et il n’y aurait pas de
Daesh et aucun siège à Alep ou à Mossoul. Il n’y aurait eu aucune atrocité dans
le métro de Londres le 7 Juillet 2005. Il n’y aurait eu aucune fuite de
millions de réfugiés ; il n’y aurait pas de camps misérables.
Lorsque l’atrocité terroriste a eu
lieu à Paris, au mois de novembre dernier, le président François Hollande a
immédiatement envoyé des avions pour bombarder la Syrie - et plus de terrorisme
a suivi, de façon prévisible, produit par la grandiloquence de Hollande sur la
France « en guerre » et « ne montrant aucune pitié ». Que
la violence de l’État et la violence djihadiste s’alimentent mutuellement est
une réalité qu’aucun dirigeant national n’a le courage d’aborder.
« Lorsque la vérité est
remplacée par le silence », a déclaré le dissident soviétique
Yevtushenko, « le silence devient un mensonge ».
L’attaque
contre l’Irak, l’attaque contre la Libye, l’attaque contre la Syrie ont eu lieu
parce que les dirigeants de chacun de ces pays n’étaient pas des marionnettes
de l’Occident. Le bilan en matière de droits de l’homme d’un Saddam ou d’un
Kadhafi est hors de propos. Ils ont désobéi aux ordres et n’ont pas abandonné le
contrôle de leur pays.
Le même sort attendait Slobodan
Milosevic une fois qu’il avait refusé de signer un « accord » qui
exigeait l’occupation de la Serbie et sa conversion à une économie de marché.
Son peuple fut bombardé, et il fut poursuivi à La Haye. Une telle indépendance
est intolérable.
Comme WikLeaks l’a révélé, ce ne fut
que lorsque le dirigeant syrien Bashar al-Assad rejeta en 2009 un projet
d’oléoduc qui devait traverser son pays en provenance du Qatar vers l’Europe,
qu’il a été attaqué.
A partir de ce moment, la CIA a
prévu de détruire le gouvernement de la Syrie avec les fanatiques jihadistes -
les mêmes fanatiques qui tiennent actuellement en otage les habitants de
Mossoul et des quartiers est d’Alep.
Pourquoi les médias n’en parlent
pas ? L’ancien fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères
britannique, Carne Ross, qui était responsable des sanctions opérationnelles
contre l’Irak, m’a dit : « Nous fournissions aux journalistes des
bribes d’informations soigneusement triées, ou nous les tenions à l’écart.
Voilà comment ça fonctionnait. ».
L’allié médiéval de l’Occident,
l’Arabie Saoudite - à laquelle les Etats-Unis et la Grande-Bretagne vendent des
milliards de dollars d’armement - est en ce moment en train de détruire le
Yémen, un pays si pauvre que, dans le meilleur des cas, la moitié des enfants
souffrent de malnutrition.
Cherchez sur YouTube et vous verrez
le genre de bombes massives - "nos" bombes - que les Saoudiens
utilisent contre des villages de terre battue, et contre les mariages et les
funérailles.
Les explosions ressemblent à de
petites bombes atomiques. Ceux qui pilotent ces bombes depuis l’Arabie Saoudite
travaillent côte à côte avec des officiers britanniques. Vous n’en entendrez
pas parler dans les journaux télévisés du soir.
La propagande est plus efficace
lorsque notre consentement est fabriqué par l’élite éduquée - Oxford,
Cambridge, Harvard, Columbia - qui fait carrière à la BBC, au Guardian, New
York Times, Washington Post.
Ces médias sont réputés pour être
progressistes. Ils se présentent comme des gens éclairés, des tribuns
progressistes de la morale ambiante. Ils sont anti-racistes, pro-féministes et
pro-LGBT.
Et ils adorent la guerre.
En même temps qu’ils défendent le
féminisme, ils soutiennent les guerres rapaces qui nient les droits
d’innombrables femmes, dont le droit à la vie.
En 2011, la Libye, un Etat moderne,
fut détruite sous prétexte que Mouammar Kadhafi était sur le point de commettre
un génocide contre son propre peuple. L’information tournait en boucle ;
mais il n’y avait aucune preuve. C’était un mensonge.
En réalité, la Grande-Bretagne,
l’Europe et les États-Unis voulaient ce qu’ils aiment à appeler un
« changement de régime » en Libye, le plus grand producteur de
pétrole en Afrique. L’influence de Kadhafi sur le continent et, surtout, son
indépendance était intolérable.
Il a donc été assassiné avec un
couteau dans son arrière par des fanatiques, soutenus par les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne et la France. Devant une caméra, Hillary Clinton a applaudi sa
mort horrible en déclarant, « Nous sommes venus, nous avons vu, il est
mort ! »
La destruction de la Libye fut un
triomphe médiatique. Tandis que l’on battait les tambours de guerre, Jonathan
Freedland écrivait dans le Guardian : « Bien que les
risques soient bien réels, le cas d’une intervention reste forte. »
Intervention. Un mot poli, bénin,
très « Guardian », dont la signification réelle, pour la
Libye, fut la mort et la destruction.
Selon ses propres dossiers, l’OTAN a
lancé 9.700 « frappes aériennes » contre la Libye, dont plus d’un
tiers étaient destinées à des cibles civiles. Elles comprenaient des missiles
avec des ogives d’uranium. Regardez les photos des décombres à Misurata et à
Syrte, et les fosses communes identifiées par la Croix-Rouge. Le rapport de
l’Unicef sur les enfants tués dit, « la plupart [d’entre eux] avaient
moins de dix ans. » Comme conséquence directe, Syrte est devenue la
capitale de l’Etat Islamique.
L’Ukraine est un autre triomphe
médiatique. Des journaux libéraux respectables tels que le New York Times, le
Washington Post et le Guardian, et les diffuseurs traditionnels tels que la
BBC, NBC, CBS et CNN ont joué un rôle crucial dans le conditionnement de leurs
téléspectateurs pour accepter une nouvelle et dangereuse guerre froide.
Tous ont déformé les événements en
Ukraine pour en faire un acte maléfique de la Russie, alors qu’en réalité, le
coup d’Etat en Ukraine en 2014 fut le travail des États-Unis, aidés par
l’Allemagne et de l’OTAN.
Cette inversion de la réalité est
tellement omniprésente que les menaces militaires de Washington envers la
Russie sont passées sous silence ; tout est occulté par une campagne de
dénigrement et de peur du genre de celui que j’ai connu pendant la première
guerre froide. Une fois de plus, les Russkoffs viennent nous chercher des poux,
dirigés par un nouveau Staline, que The Economist dépeint comme le
diable.
L’occultation de la vérité sur
l’Ukraine est une des opérations de censure les plus complètes que j’ai jamais
vue. Les fascistes qui ont conçu le coup d’Etat à Kiev sont de la même trempe
que ceux qui ont soutenu l’invasion nazie de l’Union soviétique en 1941. Alors
que l’on se répand sur les craintes d’une montée de l’antisémitisme fasciste en
Europe, aucun dirigeant ne mentionne les fascistes en Ukraine - sauf Vladimir
Poutine, mais lui ne compte pas.
Beaucoup dans les médias occidentaux
ont travaillé dur pour présenter la population russophone ethnique de l’Ukraine
comme des étrangers dans leur propre pays, comme des agents de Moscou, presque
jamais comme des Ukrainiens qui cherchent une fédération en Ukraine et, en tant
que citoyens ukrainiens, qui résistent à un coup d’Etat orchestré depuis
l’étranger contre leur gouvernement élu.
Chez les bellicistes règne
pratiquement le même état d’excitation que lors d’une réunion de classe. Le
batteurs de tambour du Washington Post qui incitent à la guerre contre la
Russie sont les mêmes qui publiaient les mensonges sur les armes de
destructions massive de Saddam Hussein.
Pour la plupart d’entre nous, la
campagne présidentielle US est un spectacle de monstres, où Donald Trump tient
le rôle du grand méchant. Mais Trump est détesté par ceux qui détiennent le
pouvoir aux États-Unis pour des raisons qui ont peu à voir avec son
comportement odieux et ses opinions. Pour le gouvernement invisible à
Washington, le Trump imprévisible est un obstacle au projet de l’Amérique pour
le 21e siècle, qui est de maintenir la domination des États-Unis et de
soumettre la Russie, et, si possible, la Chine.
Pour les militaristes à Washington,
le vrai problème avec Trump est que, dans ses moments de lucidité, il ne semble
pas vouloir une guerre avec la Russie ; il veut parler avec le président
russe, pas le combattre ; il dit qu’il veut parler avec le président de la
Chine.
Dans le premier débat avec Hillary
Clinton, Trump a promis de ne pas être le premier à utiliser des armes
nucléaires dans un conflit. Il a dit : « Je ne voudrais
certainement pas effectuer la première frappe. Une fois l’option nucléaire
prise, c’est fini. » Les médias n’en ont pas parlé.
Le pensait-il réellement ? Qui
sait ? Il se contredit souvent. Mais ce qui est clair, c’est que Trump est
considéré comme une grave menace pour le statu quo entretenu par le vaste
appareil de sécurité nationale qui opère aux États-Unis, quel que soit
l’occupant de la Maison Blanche.
La CIA veut le voir battu. Le
Pentagone veut le voir battu. Les médias veulent le voir battu. Même son propre
parti veut le voir battu. Il représente une menace pour les dirigeants du monde
- contrairement à Clinton, qui n’a laissé aucun doute qu’elle était prête à
aller en guerre contre la Russie et la Chine, deux pays qui possèdent des armes
nucléaires.
Clinton a la forme, comme elle s’en
vante souvent. En effet, elle n’a plus rien à prouver. En tant que sénatrice,
elle a soutenu le bain de sang en Irak. Quand s’est présentée contre Obama en
2008, elle a menacé de « totalement détruire » l’Iran. En tant
que secrétaire d’Etat, elle a comploté dans la destruction des gouvernements de
la Libye et du Honduras et mis en branle la provocation de la Chine.
Elle a promis de soutenir une zone
d’exclusion aérienne en Syrie - une provocation directe d’une guerre avec la
Russie. Clinton pourrait bien devenir le président le plus dangereux des
États-Unis de mon vivant – un titre pour lequel la concurrence est rude.
Sans la moindre preuve, elle a
accusé la Russie de soutenir Trump et d’avoir piraté ses e-mails. Publiés par
WikiLeaks, ces e-mails nous révèlent que ce que dit Clinton en privé, dans ses
discours aux riches et puissants, est le contraire de ce qu’elle dit en public.
Voilà pourquoi il est si important
de faire taire et de menacer Julian Assange. En tant que dirigeant de
WikiLeaks, Julian Assange connaît la vérité. Et permettez-moi de rassurer tous ceux
qui sont préoccupés, il va bien, et WikiLeaks tourne à plein régime.
Aujourd’hui, la plus grande
accumulation de forces dirigées par les Etats-Unis depuis la Seconde Guerre
mondiale est en route - dans le Caucase et l’Europe orientale, à la frontière avec
la Russie, et en Asie et dans le Pacifique, où la Chine est la cible.
Gardez cela à l’esprit lorsque le
cirque de l’élection présidentielle atteindra son apogée le 8 Novembre, Si
Clinton gagne, un chœur des commentateurs écervelés célébrera son couronnement
comme un grand pas en avant pour les femmes. Aucun ne mentionnera les victimes
de Clinton : les femmes syriennes, les femmes irakiennes, les femmes
libyennes. Aucun ne mentionnera les exercices de défense civile menées en
Russie. Aucun ne rappellera « les flambeaux de la liberté » d’Edward
Bernays.
Un jour, le porte-parole chargé des
relations avec la presse de George Bush a qualifié les médias de « facilitateurs
complices ».
Venant d’un haut fonctionnaire d’une
administration dont les mensonges, permis par les médias, ont provoqué tant de
souffrances, cette description est un avertissement de l’histoire.
En 1946, le procureur du Tribunal de
Nuremberg a déclaré au sujet des médias allemands : « Avant chaque
agression majeure, ils lançaient une campagne de presse calculée pour affaiblir
leurs victimes et préparer psychologiquement le peuple allemand pour une
attaque. Dans le système de propagande, la presse quotidienne et la radio
étaient les armes les plus importantes. »
John Pilger