Un point sur Stratfor :
Stratfor (Strategic
Forecasting, Inc.): éditeur américain
et entreprise spécialisé dans le renseignement global [mondial], fondée en 1996
à Austin, Texas, par George
Friedman, qui en fut le président. Shea Morenz
en est le directeur exécutif. Fred
Burton en est le vice-président délégué au renseignement.
Les autres
membres exécutifs incluent le directeur d'exploitation Mark Ozdarski (ancien
chez les Navy
SEAL, tenant
aussi lieu de directeur des investissements financiers, l'ancien officier des
forces spéciales américaines Bret Boyd, en tant que vice-président des services
de renseignement "ad hoc", et l'éditeur en chef David Judson.
Il est tout à
fait possible qu'un certain nombre de duels d'influence se soient déroulées
pour le contrôle interne de la ligne éditoriale de Stratfor. Son directeur George
Friedman a été remercié par S. Pieczenik dans l'introduction de son
premier volume compilant ses notes de blog. Or c'est le même George Friedman
qui accéda à la notoriété en France pour son discours de février 2015,
ouvertement impérialiste et cynique en décrivant les guerres artificielles
fomentées par les États-Unis[1].
Or il est tout à fait possible qu'il se soit
agi là d'une opération calculée, permettant à nos nombreuses sources dans
le monde de retransmettre ensuite les informations ouvertement dévoilées dans
cette conférence, créant ainsi une prise
de conscience permettant à terme d'arrêter cette stratégie scélérate de la part
des États-Unis. Car il faut bien comprendre que d'ordinaire, ces choses-là
ne sont pas dites de façon aussi outrageusement arrogante...
Article Polemia :
Discours de
George Friedman, géopoliticien américain, devant le Chicago Council on global
affairs, le 4
février 2015, via la transcription
de Polémia):
George Friedman est né en Hongrie,
dans une famille [de juifs] survivants de l’Holocauste. Dans les années 1950,
il a émigré de Hongrie aux USA avec ses parents pour fuir la mainmise des
communistes sur le pouvoir. Ses prophéties sont parfois l’objet de railleries
par ses adversaires, comme dans le cas où, en 1991, il avait prédit une
prochaine guerre avec le Japon (The Coming War with Japan)[2].
Contrairement à ce qui est dit ça et
là, George Friedman n’est pas le directeur du Renseignement américain, mais
plus simplement le PDG fondateur de Stratfor, société privée
d’information (a global
intelligence company), connue
pour être un cabinet fantôme de la CIA ( a Shadow – CIA). S’il n’appartient pas à la
haute administration américaine, il est néanmoins considéré quasiment comme un
« officiel de Washington ».
Les révélations qu’il lance dans le présent
discours sont d’un cynisme total et brutal mais une très
brillante analyse géopolitique : tout est dit quant à la politique
américaine en Europe depuis la chute du Mur de Berlin (et même avant) et dans
le futur. Attention, il y a souvent dans les propos
de Friedman une part de bluff et de manipulation inhérente à tout discours
politico-diplomatique[3].
«
Aucun pays ne peut rester éternellement en paix, surtout les USA. Je veux dire
que les USA sont constamment concernés par les guerres.
A
mon avis, l’Europe ne sera pas impliquée dans des grandes guerres comme avant,
mais l’Europe subira le même sort que les autres pays : ils auront leurs
guerres, puis leurs périodes de paix et ils y laisseront des vies. Il n’y aura
pas de centaines de millions de morts mais l’idée d’une « exclusivité
européenne » à mon avis l’amènera à des guerres. Il y aura des conflits en
Europe. Il y a déjà eu des conflits, en Yougoslavie et maintenant en Ukraine.
Quant aux relations entre l’Europe et les Etats-Unis… nous n’avons pas de
relations avec l’Europe. Nous avons des relations avec la Roumanie, nous avons
des relations avec la France, etc. Il n’y a pas « d’Europe » avec qui
les USA auraient des relations.
Question suivante :
L’extrémisme islamique représente-t-il
réellement la principale menace pour les Etats-Unis, et disparaîtra-t-il de
lui-même, ou bien continuera-t-il de croître ?
C’est
un problème pour les Etats-Unis, mais ce n’est pas une menace pour notre
survie. Il doit être traité de manière proportionnelle. Nous avons d’autres
intérêts de politique étrangère.
Donc,
l’intérêt primordial des Etats-Unis pour lequel nous avons fait des guerres
pendant des siècles, lors de la première, la deuxième et la guerre froide, a
été la relation entre l’Allemagne et la Russie parce que, unis, ils
représentent la seule force qui pourrait nous menacer et nous devons nous
assurer que cela n’arrive pas.
Ce
que vous faites, si vous êtes un Ukrainien, ce qui est essentiel, c’est
d’établir le dialogue avec le seul pays qui vous aidera, et ce pays ce sont les
Etats-Unis. La semaine dernière, il y a une dizaine de jours, le général
Hodges, commandant de l’armée américaine en Europe, s’est rendu en Ukraine. Il
y a annoncé que les formateurs américains viendraient désormais officiellement,
et non plus officieusement ; il a remis des médailles aux combattants
ukrainiens – ce qui est contraire au règlement de l’armée qui ne permet pas de
décorer des étrangers – mais il l’a fait. Ce faisant il a montré que c’était
son armée. Ensuite il est parti pour aller annoncer aux pays Baltes que les
Etats-Unis allaient disposer des blindés, de l’artillerie et autre matériel
dans les pays Baltes, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie – ça, c’est un
point très intéressant. Donc les Etats-Unis ont annoncé hier qu’ils allaient
envoyer des armes. Ce soir, bien sûr, les USA l’ont nié, mais les armes
partiront bien.
Faisant tout cela, les Etats-Unis
ont agi en dehors du cadre de l’OTAN, parce que dans le cadre de l’OTAN il doit
y avoir un accord à l’unanimité et n’importe quel pays peut opposer son veto
sur n’importe quoi et les Turcs opposeront leur veto « juste pour
rire ».
Le
fait est que les Etats-Unis sont prêts à créer un « cordon
sanitaire » autour de la Russie. La Russie le sait. La Russie croit que
l’intention des Etat-Unis est de faire éclater la Fédération de Russie. Je
pense que, comme l’avait dit Pierre Lory, « nous ne voulons pas vous tuer,
nous voulons juste vous faire un peu mal ». De toute façon, nous sommes
revenus au jeu d’antan et si vous interrogez un Polonais, un Hongrois ou un
Roumain, ils évoluent dans un univers totalement différent de celui d’un
Allemand qui est aussi différent de l’univers d’un Espagnol. Bref, il n’y a pas
de points communs en Europe.
Mais
si j’étais ukrainien, je ferais exactement ce qu’ils font : essayer de
s’appuyer sur les Américains. Les Etats-Unis ont un intérêt fondamental ;
ils contrôlent tous les océans du monde ; aucune autre puissance ne l’a
jamais fait. Par conséquent, nous arrivons à envahir les peuples et ils ne
peuvent pas nous envahir : ceci est une très bonne chose. Maintenir le
contrôle de la mer et le contrôle de l’espace est la base de notre pouvoir. La
meilleure façon de vaincre une flotte ennemie c’est de l’empêcher de se
construire[4].
La façon dont les Britanniques ont réussi à s’assurer qu’aucune puissance
européenne ne pourrait construire une flotte a été de faire en sorte que les
Européens s’entredéchirent.
La
politique que je recommande est celle adoptée par Ronald Reagan envers l’Iran
et l’Irak : il a financé les deux côtés pour qu’ils se battent entre eux
afin de ne pas nous combattre. C’était cynique, et ce n’était certainement pas
moral, mais ça a marché. Et c’est le point essentiel. Les Etats-Unis ne peuvent
pas occuper l’Eurasie : dès le moment où les premières bottes touchent le
sol, la différence démographique est telle que nous sommes totalement en
infériorité numérique. Nous pouvons vaincre une armée, nous ne pouvons pas
occuper l’Irak. L’idée que 130.000 hommes puissent occuper un pays de 25
millions… eh bien, le ratio policiers/civils à New York est supérieur à celui
déployé en Irak. Donc nous n’avons pas la capacité d’aller partout mais nous
avons la capacité de, premièrement, soutenir diverses puissances rivales afin qu’elles
se concentrent sur elles-mêmes, en leur procurant le soutien politique,
quelques soutiens économiques, un soutien militaire, des conseillers et, en
dernière option, faire comme avec le Japon, je veux dire au Vietnam, en Irak et
en Afghanistan, par des mesures de désorganisation. L’objectif des mesures de
désorganisation n’est pas de vaincre l’ennemi mais de le déstabiliser.
C’est
ce que nous avons fait dans chacune de ces guerres : en Afghanistan, par
exemple, nous avons fait perdre son équilibre à Al Qaïda. Notre problème, car
nous sommes jeunes et stupides, est que, après avoir déstabilisé l’ennemi, au
lieu de nous dire « C’est bon, le travail est fait, rentrons chez
nous », nous nous disons : « Ce fut si facile ! Pourquoi ne
pas y construire une démocratie ?! » Et c’est à ce moment que la
démence nous frappe. La solution est que les Etats-Unis ne peuvent pas
constamment intervenir dans toute l’Eurasie.
Ils
doivent intervenir de manière sélective et très rarement ; cela doit être
fait en dernier recours. L’intervention militaire ne peut pas être la première
mesure à appliquer. Et en envoyant les troupes américaines, nous devons bien
comprendre en quoi consiste notre tâche, nous limiter à elle et ne pas
développer toutes sortes de fantasmes psychotiques. Donc j’espère que nous avons retenu la leçon cette
fois : il faut du temps aux enfants pour apprendre les leçons.
Mais
je pense que vous avez absolument raison : en tant qu’empire, nous ne
pouvons pas nous comporter de la sorte. La Grande-Bretagne n’a pas occupé
l’Inde ; elle monta différents Etats indiens les uns contre les autres,
puis fournit quelques officiers britanniques à l’armée indienne. Les Romains
n’avaient pas envoyé de grandes armées dans leurs territoires conquis :
ils avaient placé des rois pro-romains et ces rois, comme par exemple Ponce
Pilate [Note CVR : c'es faux ici, il pense plutôt à Hérode et ses fils], étaient responsables du maintien de la paix. Donc les empires qui
contrôlent directement les territoires se soldent par un échec, comme c’était
le cas avec l’empire nazi. Personne n’est suffisamment puissant pour le faire.
Il faut davantage faire preuve d’intelligence.
Cependant
notre problème n’est pas encore ça. Notre problème est en fait d’admettre que
nous avons un empire. Donc nous n’avons pas encore atteint ce point car nous ne
pensons pas que nous pouvons rentrer à la maison parce que le travail est bel
et bien terminé. Donc nous ne sommes qu’au début du chemin [Nous ne sommes même pas prêts à
lire le chapitre 3 du livre].
La
question à l’ordre du jour pour les Russes est : vont-ils créer une
zone-tampon qui serait au minimum une zone neutre, ou bien l’Occident
s’introduira tellement loin en Ukraine… et s’installera à 100 km de Stalingrad
et à 500 km de Moscou. Pour la Russie, le statut de l’Ukraine représente une
menace pour sa survie, et les Russes ne peuvent pas laisser faire. Et la
question pour les Etats-Unis, dans le cas où la Russie s’accroche à l’Ukraine,
où cela s’arrêtera-t-il ? Ce n’est donc pas un hasard si le général
Hodges, qui a été nommé pour porter le chapeau, parle du pré-positionnement des
troupes en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne et jusqu’à la Baltique – par ces
actions les USA préparent le « intermarium » de la mer Noire à la
Baltique dont rêvait Pilsudski. C’est la solution pour les Etats-Unis.
La
question à laquelle nous n’avons pas de réponse est : Que va faire
l’Allemagne ? La vraie inconnue dans l’équation européenne ce sont les
Allemands. Pendant que les Etats-Unis mettent en place le cordon sanitaire
entre l’Europe et la Russie, pas en Ukraine mais à l’ouest, et que les Russes
essaient de trouver comment tirer parti des Ukrainiens, nous ignorons la
position allemande. L’Allemagne est dans une situation très particulière :
l’ancien chancelier Gerhard Schröder est membre du conseil d’administration de
Gazprom et ils ont une relation très complexe avec les Russes. Les Allemands
eux-mêmes ne savent pas quoi faire : ils doivent exporter, les Russes
peuvent acheter ; d’autre part, s’ils perdent la zone de libre-échange,
ils doivent construire quelque chose de différent. Pour les Etats-Unis, la peur
primordiale est le capital russe, la technologie russe, je veux dire la
technologie allemande et le capital allemand, avec les ressources naturelles
russes et la main-d’œuvre russe, ce qui est la seule combinaison qui a fait
très peur aux USA pendant des siècles [sic].
Alors,
comment cela va-t-il se jouer ? Eh bien, les Etats-Unis ont déjà joué
cartes sur table : c’est la ligne de la Baltique à la mer Noire [voir croquis de minute
10 :13 à 10 :27]. Quant aux Russes, leurs cartes
ont toujours été sur table : ils doivent avoir au moins une Ukraine
neutre, pas une Ukraine pro-occidentale. La Biélorussie est une autre question.
Maintenant,
celui qui peut me dire ce que les Allemands vont faire me dira ce que seront
les vingt prochaines années de l’histoire. Mais, malheureusement, les Allemands
n’ont pas pris leur décision. Et c’est toujours le problème récurrent de
l’Allemagne, avec son économie très puissante, sa géopolitique très fragile, et
qui ne sait jamais trop comment concilier les deux. Depuis 1871, la question de
l’Europe a été la question allemande. Comme la question allemande ressurgit,
c’est bien la question que nous devons régler, et nous ne savons pas comment
l’aborder, nous ne savons pas ce qu’ils vont faire.
George Friedman
4/02/2015
4/02/2015
Attention : La traduction, assez littérale
mais exacte ci-dessus, a été relevée sur la video suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=qM8nYBnlBmU
https://www.youtube.com/watch?v=qM8nYBnlBmU
Il existe
d’autres vidéos, vocalisées en français, qui respectent nettement moins les
propos de l’orateur.
[Fin de l'article Polémia
– 20/04/2015]
[1] «Ukraine :
l’impérialisme décomplexé de George Friedman » (Solidarité et Progrès, 19 avril 2015). «L’impérialisme
décomplexé de George Friedman » (Polémia,
Voir aussi « Mensonges et vérité – Le discours d'Obama à l’AGNU
Disséqué » (F. William Engdahl, 6 octobre 2015).
[2] Le point n'était pas faux pour
autant. Pour le contexte de la rivalité americano-japonaise de l'époque, et la
façon dont le Japon fut "détruit" sans guerre par une crise
économique artificiellement suscitée, voir : « Pétrole, une guerre d'un siècle : L'ordre mondial anglo-américain
» (F. William Engdahl, Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2007, chapitre 12).
On en trouvait auparavant quelques éléments partiels dans « Le dollar : histoire du système
monétaire international depuis 1945 » (Jean Denizet, Fayard,
1985). Voir pour le risque parallèle pesant sur la Chine : «Le Talon
d'Achille de la Chine est sa chance en or » (F. William Engdahl, 14
octobre 2015).
[3] (1) Voir aussi à propos de Stratfor :
a) La vérité toute nue venue de Stratfor
b) Stratfor prévoit la désintégration de l’UE et de la Russie d’ici 2025
a) La vérité toute nue venue de Stratfor
b) Stratfor prévoit la désintégration de l’UE et de la Russie d’ici 2025
[4] cf.
l’affaire des « Mistral » destinés à la Russie.