La vérité sur les changements de régime :
Très souvent, on me pose cette
question : « comment une personne seule
comme moi-même, entraînée à la fois en Psychiatrie à Harvard et en Sciences
Politiques avec un PhD du MIT, peut comprendre la dynamique d’un
grand pays comme l’Union Soviétique, peut
être capable de mettre en oeuvre ce que dans les affaires [dans le sérail,
dans le domaine du Renseignement et des opérations spéciales], on appelle un “Changement de Régime [Regime Change]“ ».
Concrètement : parlons ici de la mise à bas [takedown] de l’Union Soviétique :
La réponse c’est « modestement » : de façon assez difficile et cela prend assez longtemps. En fait
cela se passe de la façon suivante : quand j’ai fait mon service militaire
[Draft], j’ai été assigné en tant qu’étudiant à l’Institut National pour la Santé
Mentale [National Institut for Mental Health]. J’ai été envoyé à l’étranger en
Union soviétique, et là-bas j’ai travaillé avec les chefs des hôpitaux
psychiatriques, en particulier à l’hôpital psychiatrique Katchenko [/Tkachenko ?],
qui était l’hôpital [psychiatrique] principal dans lequel le KGB et le GRU
[Renseignement Militaire] incarcéraient un certain nombre de dissidents politiques en Union Soviétique,
durant les années 1970 et 1980[1].
Or je savais d’après les rapports du
Renseignement [Américain], que ces gens
qui étaient incarcérés étaient de vrais chrétiens, et même que la plupart
d’entre eux étaient des chrétiens fondamentalistes : tantôt des baptistes,
des anabaptistes, des protestants pour la plus grande part d’entre eux, ils ne
portaient pas le communisme soviétique dans leur coeur, l’athéisme était inhérent
au soviétisme communiste[2].
Donc ce qu’il se passait, c’est que
le KGB et le GRU incarcéraient beaucoup de ces dissidents politiques dans des hôpitaux psychiatriques, et ils leur
appliquaient différents types de tortures, selon ce qu’ils pensaient
“approprié“ pour traiter ce genre de dissidents particuliers…
Et dans l’expérience que j’en ai
eue, vers la fin des années 1970, j’ai
été amené à négocier avec le chef de cet hôpital psychiatrique, avec un
homme qui était à la tête d’une division psychiatrique en Union soviétique, et
qui dans le même temps avait été un docteur pour Staline. Et c’était un homme
très sérieux, un homme de grande intégrité, très franchement, parce que quand
nous avons conclu un accord personnel entre lui et moi, j’ai dit en fait :
« regardez, je vais classifier ces
gens comme des dissidents politiques sans avoir besoin de dire qu’ils sont
chrétiens (il l’avait très bien compris), et je vais vous fournir un certain
nombre d’ordinateurs Wang, pour chacun de de ces dissidents, mais nous allons les sortir de
l’hôpital psychiatrique Katchenko et les ramener aux États-Unis ». Il
finit par tomber d’accord avec moi parce
qu’ils avaient besoin de ces ordinateurs Wang, et ainsi nous fûmes capables de retirer deux douzaines ou trois
douzaines de ces dissidents politiques, de les sortir de cet hôpital
psychiatrique et de les ramener aux États-Unis.
Ceci fut le prélude de ma compréhension de la façon dont l’Union
soviétique fonctionnait, de comment le KGB et le GRU marchaient, et je
compris alors que :
1- Avec du respect, vous allez obtenir
beaucoup plus de l’Union soviétique si vous êtes vrais dans vos mots.
2- Si vous savez comment fonctionnent
les gens, ici les
soviétiques ou les Russes dans ce cas particulier, présents avec vous autour de
l’échiquier, alors vous savez comment appliquer ce que nous appelons des méthodes
d’opération psychologique à l’intérieur de l’Union
soviétique.
Donc voilà ce que j’ai fait :
Le premier élément qui était important, c’était l’absence de religion en Union soviétique,
car comme nombre d’entre vous le savent, l’Union soviétique était athée. Pourtant il y avait une forte
survivance du catholicisme mais encore plus important d’orthodoxie grecque,
d’orthodoxie russe, une préoccupation religieuse qui était répandue dans la
paysannerie et dans les zones autour de Moscou.
Et ce que j’ai fait et ce que les autres personnes
travaillant avec moi, à la CIA, au Renseignement Militaire, et tout un groupe d’Officiers du Service Diplomatique [Foreign Service Officer, FSO][3] :
nous fûmes capables d’obtenir [de promouvoir] le Pape Jean-Paul II de Pologne, qui était un anticommuniste, afin de
constituer une masse ralliant le catholicisme, autour des frontières de
l’Union soviétique, et il commença à faire « [mouvement de] masse », une
masse qui se translata et qui traversa les frontières de Russie, dans laquelle
elle instigua/encouragea la renaissance de l’orthodoxie russe, et
ainsi la religion devint un facteurs que nous avons stimulé à partir de la fin
des années 1970 puis 1980.
Le second facteur, c’est que nous
avions pris avec nous le chef des militaires [soviétiques], l’Amiral *******,
et nous l’avions embarqué sur l’un de nos porte-avions militaires, leur
montrant notre efficacité dans les appontages et les décollages depuis ce
porte-avions, en contraste avec les soviétiques qui vraiment, avait vraiment du
mal à raconter et décoller sur leurs porte-avions. Nous leur avions également
montré ce que un [char de combat principal] M1A1 Abrams était capable de
faire face à des T-72 : le M1A1 Abrams a
pu détruire 5 ou 6 T-72 en cinq à sept minutes[4].
Donc la composante militaire [soviétique] était totalement neutralisée
[surclassée], sans avoir besoin d’aller en guerre.
Le troisième
élément
fut de créer [d’imposer] ce qui
équivalait à une épreuve économique pour l’Union soviétique, qu’ils [les
dirigeants soviétiques] ne seraient réellement pas en mesure de comprendre. En
ce sens, à cette époque, nous commencions à financer un projet qui n’arriva jamais son terme, qui s’appelait l’IDS [Initiative de Défense
Stratégique], dite « Star Wars », et la raison pour laquelle nous
l’avons financé [relevaient de l’intoxication ciblant le
commandant soviétique], et le Président Reagan fut efficace en le dépeignant
comme bien réel.
Cela signifiait que nous étions en
train de forcer les soviétiques, en
particulier leurs ingénieurs et leurs scientifiques, à planifier et à détourner beaucoup d’argent depuis leurs institutions civiles,
afin d’être eux-mêmes en mesure de bâtir leur propre système militaire en
réponse, contre quelque chose qui en fait n’existait pas.
Donc en termes d’effets, en ayant
ainsi utilisé une guerre économique et des techniques de guerre économique
[ainsi que l’intoxication], nous fûmes capables de déstabiliser le système financier de l’Union soviétique.
La quatrième
partie fut l’élément culturel, c’est quelque
chose qui fut une grande préoccupation pour moi, parce que lorsque je me suis
rendu en Union soviétique durant cette période de temps, je compris que la
simple musique de type rock‘n’roll
venu d’Amérique : croyez-le ou non, mais elle était déjà assez révolutionnaire et le KGB avait beaucoup de difficulté
à contrôler ces jeunes gens qui faisaient partie de l’intelligentsia [des
classes lettrées], qui aimait le rock ‘n’ roll et qui se réunissaient dans tous
les types de boîtes de nuit souterrain, et qui créaient des petits groupes
artificiels de rock, qui reproduisaient par mimétisme nos propres groupes de
rock’n’roll.
Et ainsi j’ai compris que si nous pouvions infiltrer le pays à
travers leurs marins, et à partir des émissions de « Radio
Free Europe », et pomper ainsi
vers l’Union soviétique une grande quantité de musique américaine, nous
pourrions réellement commencer à créer des fissures à partir de ces jeunes gens
qui voudraient ensuite se désolidariser de cette « vieille garde »
communiste.
Et ce qu’il s’est passé finalement :
ce fut la cinquième partie des négociations finales dans lesquelles je fus
moi-même impliqué, entre le Politburo soviétique et l’équipe de planification politiques
des États-Unis [US
policy Planning Staff], négociations
qui aboutirent au démantèlement de l’Union soviétique, et dans lesquels
nous eûmes à discuter de la séquence des événements, qui se déroulerait. Et
Gorbatchev avec sa Perestroïka, fut assez intelligent à cette époque pour
comprendre que le vieux Système [soviétique]
ne pourrait plus fonctionner du tout dans un Nouveau Monde où les
préoccupations financières étaient devenues importantes [dominantes], où
les jeunes devaient avoir de nouveaux emplois, de nouvelles opportunités, et
dans lesquels le vieux système
d’oppression ne pourrait plus longtemps exister.
Donc, par le moyen d’une guerre psychologique
systématique puis ensuite des négociations psychologiques,
avec le Politburo soviétique lui-même et avec les membres de l’élite
soviétique, nous fûmes capables de neutraliser l’Union soviétique, et de
permettre au final au communisme [en apparence] omnipotent de s’effondrer.
Certains de ces éléments ont été décrits dans mon
livre « The Mind Palace (paperjacks, 1985) [Le Palais Mental/de l’Esprit »]), certains autres ont été décrits
dans les séries de livres des franchises de Tom Clancy, auquel j’ai fourni ces
informations, notamment son livre « The
Cardinal of the Kremlin (G. P. Putnam's Sons, 1988) [Le Cardinal du Kremlin (Albin
Michel, 1989)]».
Donc je veux que vous compreniez que l’Union
soviétique fut changée à la suite d’efforts entrepris au nom du Gouvernement
américain, non
pas uniquement par moi, mais par bien d’autres personnels au sein des organisations
du Renseignement National [National Intelligence],
de la CIA, du Renseignement Militaire, mais sans utilisation de la
force, sans l’utilisation de l’Armée et des « structures
cinétiques » : nous avons été capable de changer
littéralement et de transformer l’Union soviétique en une Fédération russe,
avec 82 régions différentes.
Donc, Monsieur et Madame Amérique, je veux que vous
réfléchissiez à cette histoire, et à son parallèle qui a été réalisé ici en
Amérique, mais qui peut se répéter encore à une autre époque [Pieczenik parle
ici clairement de la victoire inattendue de Trump, voir Note de fin].
Et Vladimir Poutine comprend ceci de
la même manière : la façon dont nous fûmes capables
de démobiliser l’Union soviétique, [et l’analogie avec le faite que nous] avons
été également capable de neutraliser certains de ses efforts économiques [de la
Russie] durant ces quelques dernières années [2011-2016], en créant une guerre économique par laquelle nous
avons fait décroître la valeur/le cours] du rouble, en dépréciant les
obligations d’État russe, et en effet il [la Russie] eut à subir un embargo [« Sanctions »] par lequel il ne peut plus
vraiment exporter ou importer quoi que ce soit de valeur pour les Russes.
En termes de valeur, ce qu’il s’est passé, c’est que
Poutine a clairement compris que la force des États-Unis et des pays
européens, ne réside pas tant dans son appareil militaire lui-même, mais dans
les personnels qui furent capables de manipuler les variables au sein de la
Russie, et de les utiliser à notre avantage.
Je ne suis pas en train de détruire [remettre en
question] ce point, je ne suis pas en train de dire que nous sommes des héros,
mais je
dis que le monde s’est transformé depuis une structure de forces cinétiques
[militaires], marqué par des guerres et des dommages militaires, vers une
nouvelle ère où la guerre économique et la guerre psychologique sont devenus
les outils prédominants d’une nouvelle génération »
[1] Voir :
« Psychiatrie
punitive en URSS » (Wikipedia) ; extrait d’un documentaire ici. Comprendre aussi
la réactivation du sujet dans la propagande massivement Antirusse en Occident
aujourd'hui : « En Russie,
la crainte du retour de la psychiatrie punitive » (La Croix,
11/10/2013).
[2] Sur la véritable
« guerre contre les croyants » qui sous-tendait le
bolchevisme puis le soviétisme (contre les chrétiens avant tout, mais également
contre les musulmans et on le sait peu aussi : contre les juifs
traditionalistes), voir notamment « Les
pourvoyeurs du goulag » (P. Villemarest, éd. Famot, 1976).
[4] NDT : il y a
cependant sept ans de différence de conception entre le T-72 (1973) et le
l’Abrams (1980). La bonne comparaison commande de considérer le T-80 (entré en
service en 1983) et non le T-72, ces deux chars ayant souvent été confondus à
l’époque par les experts occidentaux du fait de leur ressemblance. Le T-90
actuel est un dérivé du T-72, car le T-80 était produit en Ukraine (Kharkov).